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Mon agenda

Maintenant, je suis prof

11 janvier 2018

Depuis exactement deux mois, jour pour jour, je suis « Professeur de Lettres ». Tout est si nouveau pour moi que je pourrais vous parler pendant des heures – ou des pages et des pages – de ce premier jour où je me suis rendue dans ma classe, me répétant que tout allait bien se passer devant une salle vide, avant de comprendre au bout de cinq minutes que mes élèves m’attendaient en rang dans la cour où j’aurai dû aller les chercher à la sonnerie – si seulement quelqu’un me l’avait dit ; ou cette autre fois où j’ai rempli le tableau blanc d’inscriptions de mon nouveau marqueur noir tout argenté de l’extérieur, différent de tous les autres marqueurs pour tableau – et pour cause, il s’agissait d’un feutre indélébile – que nous avons passé un quart d’heure, les doigts plein d’alcool, à tenter d’effacer sans ruiner le matériel du lycée ; et bien d’autres anecdotes toutes aussi croustillantes pour vous et embarrassantes pour moi. Je le ferai peut-être, une autre fois, juste avant les vacances d’été, histoire d’être sûre que les quelques élèves qui s’aventurent sur ce blog auront le temps de les oublier.

Cette fois je vais vous faire part de toutes ces toutes petites choses qui ont grandement changé ma vie.

Avant, à 8h, je me réveillais au bout de mon septième « snooze ».
Aujourd’hui, à 8h, je suis déjà à la moitié de mon premier cours.

À l’heure où la majorité d’entre vous arrive au bureau où se met devant l’ordinateur pour consulter les premiers mails de la journée, j’ai généralement déjà terminé deux heures de cours, prononcé quelques centaines de mots et interpellé une vingtaine d’élèves. Lorsque j’ai, pour la première fois, consulté mon emploi du temps, j’avoue avoir écarquillé les yeux en constatant que ma journée commencerait à 7h25 devant trente paires d’yeux rivés sur moi. Je me suis demandée comment j’avais pu me lever si tôt pendant quinze ans d’école. Bonne nouvelle, c’est reparti pour – au moins – quinze ans encore! Autre bonne nouvelle, alors qu’en tant qu’élève vous pouvez espérer tranquillement vous réveiller pendant votre première heure de cours, vous n’avez pas le choix en tant que prof que d’être fraiche et pimpante dès le début de la journée.

 

Avant, j’étais incapable de me souvenir du nom de mon voisin de table quand je rentrais d’un dîner, celui-là même qui venait de me raconter sa vie en long et en large.
Aujourd’hui, je peux retenir soixante prénoms d’élèves que je ne connais pas en une semaine.

Comme quoi, « quand on veut, on peut ». Ou bien, « quand cela devient dangereux de ne pas pouvoir, on trouve un moyen d’y arriver ». C’est fou comme on se surprend à apprendre et retenir rapidement tout un tas d’informations quand on est vraiment dans un état de nécessité. Ainsi, après avoir révisé mes trombinoscopes et échangé par mégarde certains prénoms pendant quelques cours quand mes élèves n’avaient pas ces fameuses feuilles de classeur pliées en deux sur lesquelles figurent les prénoms des enfants en question – en police 8 pour les plus discrets, en couleurs pour les plus extravertis, avec plein de dessins autour pour les plus créatifs -, j’ai finalement été capable de tous les appeler par leurs « vrais » noms en une dizaine de jours.

 

Avant, je comptais sur le correcteur automatique pour corriger mon orthographe.
Aujourd’hui, je fais des dictées dans lesquelles j’enlève le S à des cerfs marron’s’ parce que je connais les règles des adjectifs de couleur invariables.

Jusque là, que ce soit pour un mail ou un article, j’avais généralement recours au correcteur automatique, ce qui ne me permettait pas – et depuis longtemps – d’évaluer mon vrai niveau en orthographe. Et puis, du jour au lendemain, me voilà en train d’écrire au tableau – cette fois-ci avec le bon marqueur – corriger des copies, faire des dictées et donner des leçons de grammaire sur le pluriel des mots composés, l’accord du participe passé avec les verbes pronominaux ou encore les mots qui changent de genre. Ayant été une élève qui adorait le français mais n’était pas très amie avec la grammaire, je redouble d’imagination pour leur faire apprendre, de façon simple et ludique, les règles les plus compliquées de la langue de Voltaire. Et en attendant d’y arriver, adieu les romans de gare, le Beschrelle est devenu mon principal livre de chevet.

 

Avant, je m’énervais quand je devais répéter, en dix minutes, deux fois la même chose à mes enfants.
Aujourd’hui, je fais preuve de patience quand, en trente secondes, six élèves me demandent à quelle page se trouve le texte qu’on travaille depuis un quart d’heure.

Vous savez ce que vous pouvez ressentir quand votre enfant vous demande pour la troisième fois en voiture « maman, papa, on arrive quannnnd ? », alors que vous avez quitté la maison pour vous rendre sur votre lieu de vacances. Et bien imaginez-vous faire cours depuis déjà une vingtaine de minutes sur « Le Dormeur du Val » de Rimbaud pour en arriver à faire comprendre le principe de la métaphore filée quand une élève vous demande quelle page est le cours. Vous vous retournez vers le tableau pour vous assurer que vous l’avez bien notée, elle est en effet inscrite en rouge et souligée. Vous répondez. Puis, un autre élève vous redemande la page alors que vous en êtes à la troisième question du manuel puis, un autre vous demande s’il a eu une bonne note à son examen de l’avant-veille, et un autre encore si je prévois de donner beaucoup de devoirs à faire pendant les vacances… et là, vous devez juste respirer profondément.

 

Avant, en fin de matinée, je savourais mon premier café libanais préparé sur le feu, en partageant les potins de la semaine avec des copines ou collègues.
Aujourd’hui, en fin de matinée, j’ai l’impression de m’être transformée en cafetière ambulante tant j’ingurgite de sachets de nescafé chimique entre chaque cours.

Oui, on finit par s’habituer aux pires choses, même au goût du « 2 en 1 » ou « 3 en 1 » de café dont la saveur indéfinissable se trouve entre une soupe de chaussettes et un bonbon au caramel chimique… Celui-là même que vous vous étiez juré de ne jamais avaler quand vous aviez décidé, dans vos résolutions de 2017, de manger « plus sain ». Seulement voilà, en salle des profs, c’est un peu mon seul choix comme je n’ai pas encore – je ne désespère pas d’y arriver un jour – le temps de manger. Il est ainsi devenu mon doux compagnon, chaud et réconfortant, entre deux cours quand je me noie dans des copies que je dois corriger mais que je cherche – encore – à déchiffrer. Il me tarde à présent presque de le retrouver, ce terrible parfum devenu familier, ce sachet à grains que je laisse glisser entre mes doigts fins (fins – conséquence de ne plus déjeuner) quand je commence ma journée et que je froisse nerveusement quand j’en suis à ma quatrième heure de cours.

 

Avant, je n’avais pas beaucoup d’intérêt pour d’autres enfants que les miens.
Aujourd’hui, je pense à soixante élèves quand je me lève, quand je prends ma douche, quand je mange, quand je conduis, quand je regarde un film et quand je me couche.

C’est fou ce qu’on peut s’attacher à ces enfants. Avec le temps, on en apprend tant sur leurs forces et leurs faiblesses, leurs passions et leurs peurs. Certains vous font confiance plus facilement que d’autres et se livrent à vous au détour d’une production d’écrit, d’une préparation d’exposé, d’une sortie scolaire, ou même dans un coin de feuille de punition. Chacun à sa façon, chacun à son rythme. Parfois vous sentez que vous les énervez, les décevez ou les émerveillez, que vous devenez une référence, un exemple quand ils se mettent à partager leurs quotidiens, leurs derniers achats, leur prochaines vacances… Et vous vous mettez à penser à eux, à vous inquiéter pour eux, à être heureux pour eux quand ils sont fiers d’améliorer leurs notes, quand vous les voyez s’éveiller en participant, apprendre à gérer leurs émotions, laisser leurs personnalités éclore, devenir de belles personnes, tout cela en prenant conscience de l’ampleur de votre responsabilité.

 

Avant, j’aimais les comédies romantiques.
Aujourd’hui, je ne regarde plus que les films de prof. 

Lorsque l’on devait choisir un film à regarder en fin de journée avec mon mari, on passait presque autant de temps à regarder le film qu’à le choisir: films d’action, sorties récentes, comédies romantiques, thrillers psychologiques, dernière série de netflix… On choisissait selon l’actualité ou juste l’humeur du moment. Depuis deux mois j’ai dû revoir en boucle « Le plus beau métier du monde », « Entre les murs », « Le cercle des poètes disparus », et quand je suis allée au cinéma c’était pour voir « Wonder » (non, pas Wonder Woman, Wonder le film sur un petit garçon né avec une malformation du visage qui l’a empêché d’aller normalement à l’école et qui va intégrer une classe de CM2 – ça y est, j’ai à nouveau les larmes aux yeux). J’ai beau chercher autre chose, je termine toujours par choisir un film qui concerne, de prés ou de loin, l’enseignement. Je ne sais pas bien si je suis à la recherche d’astuces ou si je ne suis plus que sensible à l’humour de prof mais il semblerait que mon identité toute entière se résume de plus en plus à ces quatre lettres.

 

Avant, je devais faire tous mes sacs pour trouver un stylo vide.
Aujourd’hui, j’ai une trousse débordant de gommes et de stylos 4 couleurs.

C’est une des grandes joies procurées par le fait de retourner sur les bancs de l’école: MA TROUSSE ! Préparer ma trousse m’a permis de retrouver les émotions d’enfant et de pré-adolescente, cette excitation absolument puérile de choisir mon stylo à plume, mes bics, ces indémodables stylos quatre couleurs. Je choisis tout cela soigneusement – surtout mes stylos rouges qui ne doivent pas avoir un rouge trop agressif et contenir une encre assez fluide mais qui sèche vite dans le même temps – et m’assure de tout avoir en double ou en triple pour pouvoir en prêter à mes élèves les plus étourdis. La trousse, c’est un peu ce qui fait que, quelque soit votre sac, vous vous sentez appartenir à l’univers de la culture et l’apprentissage, comme ci, à elle seule, elle contenait le premier geste vers l’écriture et donc vers le savoir, une trace du passé dans une ère du digital, un rappel de ce temps où l’on écrivait et on lisait sur des feuilles à carreaux.

 

Avant, j’avais un agenda.
Aujourd’hui, j’ai un emploi du temps.

Oui, avant, j’avais un repère de temps qui se comptait en nombre d’heures et je savais que j’avais un rendez-vous à 10h puis un déjeuner professionnel à 12h30 et que j’allais chercher mes filles à l’école à 13h40. Aujourd’hui ma montre me sert essentiellement à savoir quand va sonner la cloche et je parle en « H » plutôt qu’en heure. C’est à dire que je sais être libre en H3 le mardi pour passer un coup de fil ou que je termine ma journée en H5 le jeudi si je ne suis pas en semaine B pour voir un parent d’élève. Ces H ne commencent ni ne terminent jamais à heure pile, c’est toujours à 25 ou 35 ou 55 parce qu’une heure de cours est de 55 minutes et non de 60, et que les récréations sont de 15 ou 25 ou 45 minutes, histoire de faire du calcul mental même quand on est en pause.

 

Avant, j’étais une copine marrante.
Aujourd’hui, je suis devenue une fille sérieuse.

Fut un temps où, toujours prête à faire le clown, à montrer les dernières vidéos stupides d’internet ou trouver trois plaisanteries à la minute, j’étais LA bonne copine, positive, divertissante, entraînante qui changait les idées et remontait le moral. Seulement, depuis que j’enseigne, quand j’arrive à voir mes copines (ce qui est devenu un exploit en soi – pour preuve, les trois messages de trois amies paniquées que j’ai reçus, à la suite, hier, parce que « On s’inquiète, tu comprends, tu ne réponds plus à nos voicenotes depuis dix jours ». Dix jours?? Déjà?? Attends, je te rappelle en H3!), je ne parle que du souci que je me fais pour tel élève ou de l’importance de bien construire une séquence de cours. Et plutôt que de changer de sujet quand je réalise qu’elles ne savent ni de qui ni de quoi je parle, j’entre encore plus dans les détails du programme, du sens de l’apprentissage, du besoin de l’école de s’adapter à cette nouvelle génération et… vous l’aurez compris, elles ont complètement décroché. Là, j’essaye de me souvenir ce que c’était que de parler de tout et de rien, d’une expo en cours, de l’actualité aux États-Unis, de la pièce phare de la mode automne-hiver et puis j’en reviens à leur demander si elle sont partisantes ou non du 0 en dictée… Pour l’instant elles font toutes preuve de patience en espérant secrètement que je finirai par vouloir parler d’autre chose. Je l’espère aussi, sincèrement.

Alors voilà un premier aperçu de combien ma vie a changé et j’ai changé depuis que je suis devenue prof. Ce qui a aussi changé, c’est que je suis plus souvent soucieuse, mais surtout, surtout, surtout, que je ris plus souvent, que je rêve plus souvent, que je chante plus souvent – oui, car je fais partie de… LA CHORALE DES PROFS! Dates de concerts à venir, ne vous precipitez pas! -, que j’ai le loisir d’être aussi créative que je le souhaite, que je me sens tous les jours utile, parce que même si mes collègues sont des adultes, je passe la majorité de mon temps avec des adolescents qui sont pressés de grandir mais qui ont encore en eux cet enfant qui voit encore un éléphant dans le ventre d’un boa dans le dessin de l’aviateur du Petit Prince. Cette magie là, c’est elle qui change le plus ma vie, égaille mon quotidien, me donne envie de tout donner, de ne jamais renoncer, fait que avant je n’étais pas prof, mais maintenant je le suis.

Maintenant, je suis prof was last modified: janvier 11th, 2018 by Nora
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5 commentaires

Elizabeth obeid 11 janvier 2018 at 12:03

Ca me fait vraiment plaisir de lire tout ca nora..je te revois entre les lignes..tes scripts te ressemblent vraimnt.. bon courage pr cette nvlle carriere et je suis sure ke tes eleves te voient parmi leurs profs preférés! Biz????????

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Nora 11 janvier 2018 at 2:13

Merciii Elizabeth, tu es adorable. Cheers à nos années au Lycée, passées, présentes et futures 😉 Je t’embrasse.

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Julie LACAUVE 11 janvier 2018 at 9:25

Félicitations pour ce magnifique parcourt et courage que tu as eu de te retrouver face à des élèves aujourd’hui. J’admire ta patience pour ma part un apprenti pendant deux ans à été pour moi un sacré challenge que je n’ai d’ailleurs pas voulu renouveler cette année. Il est nécessaire de se sentir bien dans son métier et d’après la lecture que je viens d’effectuer tu m’as l’air très heureuse ainsi. L’Arabie est pour moi très loin mais je te retrouve en te lisant comme tu étais au collège. Bonne continuation

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Bangoura Mabinty 11 janvier 2018 at 9:38

Nora c’est mabinty la grande soeur de maryam je suis plus que heureuse de te lire et savoir ton extraordinaire parcours. Cela me donne de l’espoir pour nos enfants car j’ai une fille qui est au lycée et me raconte ses péripéties de lycéenne et bcp de professeurs je constate avec stupeur ne sont malheureusement plus passionné comme ceux que nous avions eux à Ryadh. Et te savoir profs est un ouf de soulagement et jespere d’autres sang neuf suivront tes pas car enseigner n’est pas donné à tout le monde vraiment bon courage pour la suite de cette belle carrière et ce métier noble de vouloir apprendre aux autres ses connaissances. Bisous bisous

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Rita Husseini 12 janvier 2018 at 5:58

Il y a dans tes mots une spontanéité et un enthousiasme vivifiants et communicatifs!
Bon vent ma belle ????

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Nora Awada Naufal

Journaliste de formation, j’ai travaillé pour toutes sortes de médias, des chaines de télévision d’information à Paris aux rédactions de magazines féminins à Beyrouth. Lire plus →

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